ALEXANDRA DELAGE

FACTEUR HUMAIN



décembre 2011
Polyptyque pour ligne d'horizon, trois fragments d'un paysage de fin de monde ou d'aube silencieuse. De loin d'abord, l'apparente froideur de grands corps inertes, rigoureusement disposés contre le mur ; à peine penchés, ils projettent sur lui leur ombre discrète qui vient souligner encore leur présence. L'espace est habité, il faut s'approcher.
Et puis, la surface vibrante qui trahit le geste. Dessous le blanc du ciel, les ratures minutieuses.

Mathieu Bonardet a tout programmé. Dans son carnet de croquis, avec la précision mathématique d'un architecte, il a conçu sur deux dimensions son plan d'exécution. Soumises aux lois de la perspective, ses formes simples, minimales, existent déjà et habitent l'espace de la page sans hasard. Il est frappant de constater combien la photographie mentale de l'à venir diffère finalement peu de la photographie d'exposition. Tout est là déjà, tout est prêt.


Ce qui intéresse Mathieu Bonardet réside pourtant entre les deux.

Comme si l'application et la méticulosité du travail en amont autorisait alors la dérive. Derrière l'apparente rigueur formelle, il y a l'empreinte d'un corps patient qui infuse jusqu'à l'épuisement son support. Journal intime d'un condamné consentant, les plaques de Sans titre (polyptyque pour ligne d'horizon) parlent d'un espace et d'un temps éprouvés. Inlassablement, l'artiste a tracé sous l'horizon des traits à la mine graphite en en chargeant progressivement la densité, du gris pâle au gris foncé. La répétition rendue quasi absurde, d'un trait à l'autre, d'une page à l'autre. On l'imagine compter les secondes mentalement, inexorablement, ligoté à son crayon, la hachure comme une incantation. On l'imagine droit d'abord, debout et décidé dans l'atelier. Il a forcément dû se courber, s'accroupir, se demander pourquoi, à quoi bon, divaguer aussi. Il en va ainsi de la petite mécanique fragile du geste. Sous l'illusion faussement homogène du polyptyque, entre les croquis préparatoires et l'espace de la Collection Rosenblum, le facteur humain et l'écoulement du temps enduré. Et dessous le blanc du ciel, les imperceptibles variations du paysage mental de l'artiste.


Alexandra Delage est diplômée de l’École du Louvre et de l’Université Paris I. En 2009, elle collabore avec Guillaume Désanges sur la conférence-performance Signs & Wonders (Centre Pompidou, Tate Modern). Elle a travaillé pour Performa (New York).