GALERIE MICHÈLE SCHOONJANS
2025 04.09 - 25.10
exposition personnelle
CHAOSMOS
2025 04.09 - 25.10
exposition personnelle









La galerie Michèle Schoonjans a le plaisir de présenter Chaosmos, la première exposition personnelle en Belgique de l’artiste franco-belge Mathieu Bonardet, récemment lauréat du Prix Matsutani 2024 (succédant entre autre à Keita Mori, Nathanaëlle Herbelin ou encore Nefeli Papadimouli). Ce solo show marque une nouvelle étape dans son parcours, avec l’introduction inédite de la couleur dans une œuvre jusqu’ici dominée par le noir et blanc. Minimalisme rigoureux, exploration du plein et du vide, glissements et tensions… Chaosmos dévoile une pratique du dessin mise à l’épreuve de l’imprévisible, entre ordre et dérèglement, équilibre et fracture.
« Chaosmos » 1 est un mot-valise fabriqué par Joyce pour dire à la fois le chaos et le monde ordonné, le cosmos cher à la pensée grecque. L’irruption de la couleur ouvre chez Mathieu Bonardet la possibilité de passer de l’un à l’autre.
Sa pratique, jusqu’ici dominée par le noir et blanc, obéissait à une logique rigoureuse : chaque dessin se construisait d’après des plans, croquis et esquisses, dans une quête d’équilibre structurée autour de l’horizon. Les Gouffres témoignent de cette genèse, de l’échelle du projet à sa matérialisation en volume, parfois jusqu’à la sculpture.
Bien qu’il soit traversé par des failles et des lignes de fracture, cet univers de graphite possède la stabilité des blocs de granit ; les Equal Blocks — constitués de deux formes différentes mais aux aires égales, générées par un logiciel conçu en collaboration avec un mathématicien — incarnent cette tension entre intuition et calcul, entre hasard contrôlé et rigueur. Ici, l’algorithme devient une manière d’ordonner le monde.
L’ordre est aussi celui de la répétition du même. Avec Isometría VIII, un même format et un même dessin, dix fois répétés, créent visuellement un horizon, gage suprême d’une stabilité inaccessible, si ce n’est du bout du crayon.
L’équilibre des forces et des lignes reste cependant sujet à des phénomènes géologiques. Dans ce monde réduit à ses éléments simples, le plein et le vide, la répétition peut tourner au décalage ou au glissement. Celui-ci agit comme un premier élément perturbateur, comme dans la série Disjonction précédemment montrée à la galerie, où un fragment de graphite, glissé sous le second panneau d’un diptyque, entraînait sa divergence, prélude à un effondrement possible. Ce qui était immuable s’avère susceptible de fragilité.
La couleur achève de troubler les repères. Son spectre qui oscille du jaune au vert est celui d’une radiation fantasmée qui synthétise les angoisses contemporaines, entre menace géopolitique et dérèglement climatique, dont la récente rétrospective au musée d’art moderne de la ville de Paris sur les travaux d’artistes face à l’âge atomique a montré l’ambiguïté, entre les transferts d’énergie éthérique et physique des atomes de Hilma af Klint aux fascinants champignons de Crossroads de Bruce Conner.
Traduisant cette incertitude dans la chair du papier, la couleur devient une menace latente pour le dessin. Elle amène en effet l’imprévu d’une réaction en chaîne dans la pratique de Mathieu Bonardet. Au lieu de la planification dans les carnets, l’intuition se déploie directement sur la feuille. La manière dont le graphite accroche sur le pastel guide ensuite le dessin dans une orientation plus ou moins dense. Acide et parfois violente, la couleur met en tension les traits qui s’alignent sur une ligne de force qu’ils contribuent à rendre visible.
La couleur réagissant de manière imprévisible, le rapport à l’identique devient lui-même impossible.
Ce rapport tactile et visuel engendre des strates de matière, des effacements, des réapparitions. Parfois ne subsistent que des lignes fantômes ; parfois, la couleur disparaît presque, noyée dans le graphite. Impuissantes à dégager l’unité matricielle des Isométries, les Radiations brûlent la feuille d’un champ magnétique ou d’un vent solaire jusqu’à l’abrasement. Leur vibration prend le risque de l’incontrôlable.
Le dérèglement progressif qui suit la dissémination de la couleur dans l’œuvre de Mathieu Bonardet est comme celui qui gagne le héros de La Promenade de Walser, puis le monde qu’il perçoit : « Le ciel et la terre coulent, et se mélangent précipitamment en une masse houleuse, étincelante et confusément chatoyante, de brouillard. Le chaos commence et les ordonnances disparaissent. » Où l’on retrouve, dans la révélation visuelle d’une fusion entre le plein et le vide, le trouble qui saisit les héros Joyce, l’épiphanie douloureuse de l’intrication de l’ordre et du désordre. Ainsi s’ouvre sur l’inconnu d’un monde d’après, aveuglant et vide, total et blanc, l’espace central strictement délimité de la série des Chaosmos.
Xavier Bourgine
1
Avant d’être repris en « chaosmose » par Guattari et plus récemment par Jean-Jacques Lebel pour l’exposition de sa « collecte » à la Breton au Centre Pompidou (octobre 2024-février 2025).
Galerie Michèle Schoonjans, Rivoli Building - Waterloosesteenweg 690/25 & 26 Chaussée de Waterloo (Bascule) 1180 Brussels
www.micheleschoonjansgallery.be/
« Chaosmos » 1 est un mot-valise fabriqué par Joyce pour dire à la fois le chaos et le monde ordonné, le cosmos cher à la pensée grecque. L’irruption de la couleur ouvre chez Mathieu Bonardet la possibilité de passer de l’un à l’autre.
Sa pratique, jusqu’ici dominée par le noir et blanc, obéissait à une logique rigoureuse : chaque dessin se construisait d’après des plans, croquis et esquisses, dans une quête d’équilibre structurée autour de l’horizon. Les Gouffres témoignent de cette genèse, de l’échelle du projet à sa matérialisation en volume, parfois jusqu’à la sculpture.
Bien qu’il soit traversé par des failles et des lignes de fracture, cet univers de graphite possède la stabilité des blocs de granit ; les Equal Blocks — constitués de deux formes différentes mais aux aires égales, générées par un logiciel conçu en collaboration avec un mathématicien — incarnent cette tension entre intuition et calcul, entre hasard contrôlé et rigueur. Ici, l’algorithme devient une manière d’ordonner le monde.
L’ordre est aussi celui de la répétition du même. Avec Isometría VIII, un même format et un même dessin, dix fois répétés, créent visuellement un horizon, gage suprême d’une stabilité inaccessible, si ce n’est du bout du crayon.
L’équilibre des forces et des lignes reste cependant sujet à des phénomènes géologiques. Dans ce monde réduit à ses éléments simples, le plein et le vide, la répétition peut tourner au décalage ou au glissement. Celui-ci agit comme un premier élément perturbateur, comme dans la série Disjonction précédemment montrée à la galerie, où un fragment de graphite, glissé sous le second panneau d’un diptyque, entraînait sa divergence, prélude à un effondrement possible. Ce qui était immuable s’avère susceptible de fragilité.
La couleur achève de troubler les repères. Son spectre qui oscille du jaune au vert est celui d’une radiation fantasmée qui synthétise les angoisses contemporaines, entre menace géopolitique et dérèglement climatique, dont la récente rétrospective au musée d’art moderne de la ville de Paris sur les travaux d’artistes face à l’âge atomique a montré l’ambiguïté, entre les transferts d’énergie éthérique et physique des atomes de Hilma af Klint aux fascinants champignons de Crossroads de Bruce Conner.
Traduisant cette incertitude dans la chair du papier, la couleur devient une menace latente pour le dessin. Elle amène en effet l’imprévu d’une réaction en chaîne dans la pratique de Mathieu Bonardet. Au lieu de la planification dans les carnets, l’intuition se déploie directement sur la feuille. La manière dont le graphite accroche sur le pastel guide ensuite le dessin dans une orientation plus ou moins dense. Acide et parfois violente, la couleur met en tension les traits qui s’alignent sur une ligne de force qu’ils contribuent à rendre visible.
La couleur réagissant de manière imprévisible, le rapport à l’identique devient lui-même impossible.
Ce rapport tactile et visuel engendre des strates de matière, des effacements, des réapparitions. Parfois ne subsistent que des lignes fantômes ; parfois, la couleur disparaît presque, noyée dans le graphite. Impuissantes à dégager l’unité matricielle des Isométries, les Radiations brûlent la feuille d’un champ magnétique ou d’un vent solaire jusqu’à l’abrasement. Leur vibration prend le risque de l’incontrôlable.
Le dérèglement progressif qui suit la dissémination de la couleur dans l’œuvre de Mathieu Bonardet est comme celui qui gagne le héros de La Promenade de Walser, puis le monde qu’il perçoit : « Le ciel et la terre coulent, et se mélangent précipitamment en une masse houleuse, étincelante et confusément chatoyante, de brouillard. Le chaos commence et les ordonnances disparaissent. » Où l’on retrouve, dans la révélation visuelle d’une fusion entre le plein et le vide, le trouble qui saisit les héros Joyce, l’épiphanie douloureuse de l’intrication de l’ordre et du désordre. Ainsi s’ouvre sur l’inconnu d’un monde d’après, aveuglant et vide, total et blanc, l’espace central strictement délimité de la série des Chaosmos.
critique et auteur des Ultimes (Grasset, 2021), relecture de Caïn et Abel à l’heure du dérèglement climatique, Xavier Bourgine poursuit une thèse en histoire de l’art à l’Université Bordeaux Montaigne.
www.micheleschoonjansgallery.be/