GALERIE GRADIVA

REPLIS


2016   20.05 - 20.07

exposition personnelle,
commissariat Fanny Lambert

« Tout paysage s’organise autour d’une dialectique du visible et de l’invisible qui, de toute façon, caractérise notre appréhension du monde. »
Gilles A. Tiberghien 1

Le contraste habite l’œuvre de Mathieu Bonardet. Tout du long, le graphite, sa matière première, tranche avec le blanc du papier, comme une étonnante fusion du détail et de la matière. Les lignes se font fidèles à l’œil mais poursuivent, autonomes, leurs fuites respectives.

Dans ce règne de la tension, rigueur, précision et contrôle s’inventent face à la sensualité du geste qui transpire, la vibrance des effets, la souplesse des textures. Rien n’est proprement figé ni totalement volatile. Regardeur, on vogue dans cette ambivalence qui nous conduit vers des paysages mentaux. Nous ne savons plus rien. Si notre perception vacille à force de persistance rétinienne ou si ce paysage se retourne sur lui-même : « Soudain, le sentiment merveilleux de s’engloutir dans la terre, tandis que devant ses yeux éblouis et égarés de penseur et de poète s’ouvre un abîme »2. Une perception désignée par Merleau-Ponty comme « actes à deux faces »3 et ce que les phénoménologues nomment ailleurs, « horizon intérieur ». Ainsi, le paysage et son insertion seront envisagés telle « une ligne au-delà de laquelle plus rien n’est visible »4.

Chercher l’équilibre, le point de gravité, la mesure juste. Cet outil de mesure, Mathieu Bonardet l’obtient à partir de son corps qui devient repère absolu. La distance ne semble être valable pour l’artiste qu’en fonction de ce que son corps est capable d’atteindre. Une échelle qui se ballade dans ces paysages abstraits faits de failles, de gouffres et d’échappées lumineuses. Si l’horizon a longtemps été en ligne de mire de l’artiste, ce dernier semble décidé désormais à l’aborder autrement. D’où peut être cet horizon intérieur qui jaillit de ces nouvelles formes concaves et ramassées.

Avec Replis, Mathieu Bonardet abandonne peu à peu l’horizontal pour glisser littéralement vers la verticalité. Une tension aigüe et dilatée pourtant se fait sentir entre le sol (la terre), la pesanteur (ascension) et ces « espaces-contre », comme il les nomme. Tous issus de la contrainte, ils convergent vers des abysses matriciels. « La liberté du geste n’existe que dans la contrainte » explique l’artiste en quête de « forces contraires »5. Dans ce périmètre du soi qui se replie sur lui-même, il faudra accepter cela, précise-t-il, et en laisser trace. En répondent ces œuvres sur papier pensées sans fond où l’horizon n’est plus toujours à hauteur du regard. Il se dessine en dégradés dans une chute infinie. Il se cherche, à la limite ; définie par celle que ses bras lui permettent.

Rythmes, silences et envolées coexistent. Le dessin s’affranchit de sa bi dimensionnalité, se détache pour apparaître en volume. La grande majorité des pièces réalisées pour l’espace d’exposition répondent en effet à cette intention de dresser le dessin au-delà de ses limites propres, et de l’émanciper des murs qui ont pour habitude de le soutenir. Dans une eurythmie idéale, le sfumato compense avec la lisière stricte des interstices, nous aspire en même temps qu’il nous revient, tel le pli qui peut s’observer d’un côté ou de l’autre et se dédoubler à l’infini.
Fanny Lambert

1  Gilles A. Tiberghien, Pour une république des rêves, 2011, Les Presses du réel –Collection Œuvres en sociétés – Albums.
2  « Soudain, le sentiment merveilleux de s’engloutir dans la terre, tandis que devant ses yeux éblouis et égarés de penseur et de poète s’ouvre un abîme. Ses bras et ses jambes naguère si pleins de vie sont comme figés. Le pays et les gens, les sons et les couleurs, les visages et les silhouettes, les nuages et la lumière du soleil, tout tourne autour de lui comme autant de spectres inconsistants ; il se demande : « où suis-je ? Le ciel et la terre coulent, et se mélangent précipitamment en une masse houleuse, étincelante et confusément chatoyante, de brouillard. Le chaos commence et les ordonnances disparaissent. » In Robert Walser, La promenade, Gallimard, 2007, p. 79.
3  Maurice Merleau-Ponty, Phénoménologie de la perception, Gallimard, Paris, 1945.
4  Cité par Gilles A. Tiberghein, Ibid., p. 200. Michel Collot, « Point de vue sur la perception des paysages », in La Théorie du paysageen France, 1974-1994, Editions Champ Vallon, pp. 212-213.
5Forces contraires, exposition personnelle de l’artiste, 17/10 /2015 – 21/11/2015, Galerie Jean Brolly.



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