« Chemins qui ne mènent nulle part
entre deux prés
chemins que l'on dirait avec art
de leur but détournés,
chemins qui souvent n'ont
devant eux rien d'autre en face
que le pur espace
et la saison. »
Rainer Maria Rilke
entre deux prés
chemins que l'on dirait avec art
de leur but détournés,
chemins qui souvent n'ont
devant eux rien d'autre en face
que le pur espace
et la saison. »
À la toute fin de sa vie, Rilke semble avoir trouvé l’apaisement en Suisse, où il achèvera ses fameuses Elégies de Duino et écrira notamment, en français, Les Quatrains Valaisans, dont ces lignes sont tirées. Ces quelques vers fragiles, vacillants et légers, écrits au détour d’un sentier, rassemblent trois jeunes artistes dont la préoccupation est justement, comme le poète, celle d’une ligne qui se cherche dans le paysage, ou le blanc de la page.
Mathieu Bonardet a décidé, dans les grands espaces américains, d’aller jusqu’au bout de la ligne: à la recherche de la Spiral Jetty de Robert Smithson, perdu sur les routes américaines, il finira par trouver refuge dans un ranch du Colorado et s’installera dans une grande étendue pour y dérouler une ligne dans l’espace, et, littéralement, déplier la spirale de Smithson. La ligne, mince sillon tremblant tracé à la main, serpente sur une terre s’ouvrant sur le bleu du ciel. Non loin de là, la pièce sculpturale Faille s’ouvre quant à elle sur le sol, faille sismique ou tellurique, craquelure d’un sol trop chauffé par le soleil, ligne de séparation ou de scission.
Mais, la ligne a aussi beaucoup à faire avec la rencontre. Ne parle-t-on pas de la «croisée des chemins» ? C’est le cas dans l’œuvre de Bertrand Rigaux: TERRE À TERRE À TERRE, diagramme mathématique permettant de répertorier les formes de petits galets noirs et polis, que l’on voudrait caresser du bout du doigt. Le galet est au coeur des choses, des raisonnements, des formules. Tout aussi poétique et mathématique, Les Axiomes se déploient sur le mur blanc de la galerie, à l’aide d’un fil et de deux pendules en obsidienne noire: l’artiste nous dit bien qu’un «axiome désigne une proposition indémontrable qui doit être admise». Nous serions donc ici face à une énigme de sens, dans la mesure où l’œuvre atteste de la rencontre de deux pendules qui, habituellement, servent à mesurer ou à détecter un élément, mais qui ici «se désignant l'un l'autre, sont comme neutralisés, dans une sorte de schéma qui se boucle sur lui-même», explique Bertrand Rigaux. Nous pouvons peut-être trouver un indice textuel dans une autre œuvre: «une seule corde dont les deux cordes se joignent», tel serait le mystère d’une pensée en mouvement entre écriture poétique et formule scientifique.
Wilson Trouvé travaille lui aussi à «tendre les lignes de force / jusqu’au point de rupture». Avec la pièce Black Canvas, qu’il réactive in situ, il tend ainsi des câbles en acier le long du mur, en un étagement régulier et horizontal comme une partition. Il procède ensuite par recouvrement, déposant sur les câbles des filaments de colle thermofusible noire qui semblent être figés dans leur écoulement. Le déséquilibre apparaît frontalement entre la rigidité de la ligne arrêtée sur le mur blanc et les coulures noires, beaucoup plus organiques et picturales. La ligne est ici contrainte et territoire d’action potentiel. Tout comme l’architecture du lieu, les angles deviennent de possibles lieux d’interventions: «avec le minimum de signes / tailler les murs / avec le minimum de geste / diluer les contours / épaissir le regard», écrit-il.
Rien d’autre en face que le pur espace: cette phrase résonne dans la rencontre de trois artistes qui ont en partage une ligne investie d’un sens du risque, de la fêlure même lorsqu’elle endosse l’apparence rectiligne, de la tangente même lorsqu’elle semble tenir sa route, de la souplesse du serpent même lorsqu’elle est tendue comme une corde. Reste l’horizon, ouvert sur l’illimité, ou au contraire point de jointure ou de suture.
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